Dans le livre de Guido Lengwiler A History of Screen Printing: How an Art Evolved into an Industry, on découvre au fil des pages, des reproductions d’œuvres en sérigraphie dont la qualité et le style sont très proches d’aujourd’hui. Dès le début du 20e siècle, la Californie connait une autre ruée vers l’or, celle qui mène les artistes vers la sérigraphie : une technique d’expression majeure pour les graphistes et les illustrateurs.
La sérigraphie c’est pas du chinois !
La technique de la sérigraphie est si simple que les pochoirs créés manuellement continueront d’être utilisés après la seconde guerre mondiale. Ils sont économiques et faciles à utiliser. Dans les ateliers d’art, il n’est donc pas rare de voir encore les artistes dessiner ou découper le pochoir puis imprimer manuellement, dans la grande tradition des créateurs d’estampe.
D’anciens écrans de sérigraphie sont parfois si beaux qu’ils sont même utilisés en décoration. Altforliving. © Photo Scott Frances
En 1926, Hans Caspar Ulrich décrit la fabrication du pochoir de sérigraphie. “Nous utilisions encore de l’encre de chine pour dessiner le motif directement sous le tissu tendu. Les parties non imprimées étaient alors obturées par un verni. Le processus était lent et le trait n’était pas net. Ou alors nous découpions du papier adhésif que nous fixions sur la “gaze” (le tissu translucide en soie, lin ou coton). Mais cette façon de faire n’était pas adaptée aux motifs très fins.”
Pendant ce temps les ateliers de sérigraphie vont progressivement utiliser le procédé photographique. Une invention moderne ? Et bien non, en 1906, le français Jehan Raymond dépose un brevet à partir du procédé déjà décrit en 1892 par François Schreurs (pour l’impression textile). Il sera suivi en 1907 par l’anglais Samuel Simon. C’est pourtant ce dernier qui apparaît dans tous les manuels d’histoire !
A cette époque, il n’y avait pas encore de produits prêts à l’emploi. Le coût et la difficulté des formules chimiques rendent donc cette technique inutilisable. Il faut attendre 1917 pour voir le procédé photographique devenir presque aussi facile qu’un tirage photo ! Comment ça marche ? Une émulsion photosensible est déposée sur le tissu au lieu du papier. Le motif dessiné sur un film transparent est exposé au contact de l’émulsion qui “noircit” à la lumière. La sérigraphie moderne est née…
Brochure sérigraphiée (produite entre 1940 et 1950) sur l’utilisation des Nu-film et blufilm inventés vers 1937.
Pour simplifier la création des pochoirs, plusieurs inventions verront le jour. Notamment les feuilles transparentes enduites d’un produit de transfert. Cette feuille était posée sur le dessin, on “grattait” la couche de transfert pour révéler les zones à imprimer. On appliquait ensuite la feuille sur l’écran pour faire adhérer le produit couvrant, puis la feuille était décollée. Facile ! Ainsi la maille du tissu était bouchée, évitant les contours en dent de scie.
Sérigraphie imprimée par Vitachrome entre 1923 et 1926 en 13 couleurs sur support bois.
En 1923, la sérigraphie fabrique déjà de l’art
Contrairement à la lithographie, la sérigraphie permet de superposer les couches d’encre et de créer… du relief ! Cette particularité va vite taper dans l’œil des marchands d’art. En 1923, Young & McCallister débutent, pour la première fois à Los Angeles, la reproduction “fine art” avant de fonder la société Vitachrome. À l’époque aucun procédé d’impression ne pouvait rivaliser avec la vivacité des couleurs et la qualité de leurs tirages. Leur reproductions de peintures vont même concurrencer directement celles produites avec la lithographie. Beaucoup plus économiques sur les faibles tirages, les formats imprimés en sérigraphie sont plus grands, les supports plus variés (carton, papier, verre et textile) : c’est un véritable succès !
L’utilisation des pochoirs photographiques associés aux pochoirs traditionnels (découpés à la main) vont permettre d’imprimer des œuvres d’art en 20 couleurs sur papier. Les impressions étaient ainsi obtenues par recouvrement total ou partiel, à l’aide d’encres épaisses et couvrantes (gouache) et même de peinture à l’huile !
Peintures reproduites en sérigraphie d’art par la Tongue-Art Company en 1923. Encres à l’eau / 30 passages de couleur.
L’artiste californien Gilbert Tongue était, en 1917, fasciné par l’idée de reproduire de l’art pictural avec la sérigraphie. Il deviendra plus tard avec la Tongue-Art Company, un maître de le reproduction d’art. Le niveau de qualité atteint était si élevé que certains tirages à la gouache pouvaient atteindre 30 couleurs dans les années 1920 ! Pour qualifier ces reproductions, il n’utilisait pas le terme de sérigraphie (silk screen print) mais Sayrographics.
Calendriers imprimées en sérigraphie par Vitachrome et Velvetone entre 1920 et 1930.
Sérigraphie pour tous !
Parmi les nombreuses pages de presse reproduites dans le livre de Guido Lengwiler, Signs of the Times (the national journal of display advertising) est le premier journal à rapporter le phénomène de la sérigraphie à partir de 1916, au moment de la première guerre mondiale. Par ses articles, William Hugh Gordon (un grand typographe américain) a largement contribué à l’essor et la connaissance de cette technique dans le monde entier.
Les premières écoles de sérigraphie voient déjà le jour à New York en 1937.
Si vous pensiez que la démocratisation de la sérigraphie est récente… Détrompez-vous. En 1925, des kits d’impression sont déjà distribués par Naz-Dar, une entreprise de Chicago. “Easy to do, easy to learn”. C’est le début de la mode de la sérigraphie aux USA et ça a l’air drôlement facile : The silkscreen stencil reproduction method inclut un matériel complet pour fabriquer les pochoirs, un écran de tissu, une racle et différentes couleurs d’encre (à base d’huile ou d’eau). D’autres publicités (Strongs à Détroit) proposent même en 1924, des kits pour débutants et un catalogue complet de fournitures. Avec la sérigraphie, l’artiste imprime lui-même son œuvre.
Dans le journal Signs of the Times, Nazdar (Chicago) annonce les premiers kits de sérigraphie en 1925. Tandis que le premier manuel grand public ne sera édité qu’en 1939.
La premier manuel Silk screen process knolwledge est signée par Harry Leroy Hiett en 1922 (il est considéré comme le fondateur de la sérigraphie industrielle). Pour lire le premier guide de sérigraphie grand public, il faudra attendre une publication de 1939 : Silk screen stencil craft as a hobby. Une publicité de la California school of screen process nous promettra, plus tard en 1946, de doubler notre revenu grâce à la pratique de la sérigraphie.
Rosslyn, Virginia, 1926. “Walling Process Inc.” A graphics business owned by one George Walling. National Photo Co. Collection glass negative.
WPA Federal Art project à New York en 1938, une période intense de créativité et de modernité.
Du silkscreen à la serigraphy : l’art s’affiche
“Je sens que la production d’art a besoin d’un terme plus adapté que Silk screen process”. Voici comment l’artiste américain Anthony Velonis explique la naissance du mot “serigraphy” en 1930.
Au moment même où la sérigraphie produisait des enseignes et des publicités, une partie de la production était destinée à des œuvres artistiques et souvent signées de la main de l’artiste. L’explosion de la sérigraphie d’art se produit pendant la Grande dépression aux USA (entre 1929-1933). Le président Roosevelt inaugure son célèbre New Deal. Même si la plus grande partie des fonds était consacrée à la construction de routes ou de ponts, 1% sera dédié à la création artistique !
Á partir de 1935, Le Federal Art Project (FAP) constituera le plus grand espace de création graphique au monde : pendant 8 années près de 35 000 œuvres soit 2 millions d’affiches seront produites. La plupart seront réalisées en sérigraphie : une mine d’or pour les collectionneurs !
Anthony Velonis (à droite) dans son atelier de sérigraphie. New York, 1939.
Affiche créée par Estelle Levine en 1936. Affiche Once upon a time par Kenneth Whitley. WPA posters. Work Projects Administration Poster Collection (Library of Congress).
En 1938, Anthony Velonis crée le premier département de sérigraphie de la FAP – Work Progress Administration (WPA). Formé très tôt à cette technique, à l’aide de son équipe, il pourra produire 600 affiches par jour et imprimer manuellement jusqu’à 8 couleurs. Il multipliera les démonstrations dans les écoles et contribuera à la connaissance de la sérigraphie dans le monde de l’art. En réponse à toutes les questions posées sur la pratique de la sérigraphie d’art, il publie son premier livre Technical problem of the artists en 1938. Avant cette publication, l’artiste Harry Gotlieb dira à propos de la sérigraphie : “Je ne connaissais rien à tout ça, et personne n’y connaissait quoique ce soit, à part ceux qui travaillaient dans le secteur publicitaire”.
Dans la quantité d’affiches sérigraphiées, on décèle un véritable style : efficacité du message, création typographique et langage graphique moderne… Comme la plupart des créations du WPA, les affiches adoptent toutes le format de 14 pouces (35,5 cm) par 22 pouces (56 cm). Ces WPA Posters sont à découvrir sur le site officiel Rethinking WPA On y trouve les œuvres de Anthony Velonis, Foster Humfreville, Alex Kallenberg, Erik Hans Krause, Charles Verschuuren, etc.
East Side West Side Exhibition of Photographs par Anthony Velonis, New York City Federal Art Project, WPA, 1938. Silkscreen Prints and Photographs Division, Library of Congress.
Aujourd’hui, que vaut véritablement une sérigraphie d’art (ou fine art) ? Sérigraphie publicitaire, industrielle ou artistique, la technique d’impression est identique. C’est ce qui crée la confusion la plus problématique pour le marché de l’art. Pendant des années les termes “serigraphy, serigraph” désigneront une œuvre réalisée et imprimée manuellement. Aujourd’hui le terme “printmaking” (estampe) est plus largement utilisé pour identifier les impression réalisée de la main ou sous la conduite de l’artiste, signées et numérotées.
Lire la suite, chapitre 3 :
L’étrange destin de la sérigraphie d’art
Les extraits traduits et les photographies issues du livre sont reproduits avec l’accord de Guido Lengwiler A History of Screen Printing: How an Art Evolved into an Industry
Tous droits réservés / Photos © 2014 Dezzig
Zig
Si vous aimez les WPA posters, jetez un coup d’œil sur le magnifique ouvrage crée par Maribel O. Gray,. C’est un projet de fin d’études basé sur le livre “on the See America poster” d’Alexander Dux :
Zig
La Naz-dar Company (créée en 1922) existe toujours !
Zig
Á propos de la valeur d’une sérigraphie, le site gseart.com donne quelques explications supplémentaires :
“Quand il s’agit d’artistes comme Gustav Klimt et Egon Schiele qui vivaient avant la Seconde Guerre mondiale, les problèmes semblent être plus simple. Selon les experts, un travail est considéré comme une estampe originale si (a) l’artiste a créé l’image avec l’intention de la reproduire dans l’un des supports de gravure traditionnels (taille douce, lithographie, gravure sur bois, sérigraphie, etc), et (b ), l’artiste a été personnellement impliqué dans la création du maître (plaque, pierre, bloc, etc) et a supervisé le processus d’impression. Idéalement, l’artiste doit approuver personnellement le résultat final en signant chaque impression individuelle.”
Zig
Sur le site du Library of Congress, vous pouvez consulter la collection du WPA : près de 1000 posters !