Le site gigposters.com a vécu. Certes il faisait son âge, son design digne des années 90 et sa conception n’avaient que peu évolué au fil des années. Pourtant GigPosters était devenu le site de référence mondial de la création de rock posters, de sérigraphies et de la scène alternative. Avec lui disparaît une archive considérable sur l’histoire des affiches de concert (“gig poster” en anglais), un gâchis irrémédiable.
Depuis juin 2016, le nombre des attaques des robots spammeurs ou des hackers était si important qu’il a contraint la fermeture du site. Le temps, les coûts de codage et les frais de serveur étant devenu trop important pour le remettre en ligne. C’est un véritable choc, car juste avant sa fermeture, le site hébergeait une archive gigantesque de 160 000 posters et présentait 12 000 designers du monde entier : une base de donnée unique sur la création underground.
Si vous ne connaissiez pas GigPosters, et bien vous avez manqué quelque chose ! Depuis 15 ans, le site proposait de naviguer dans une impressionnante collection de rock posters archivés par groupe de musique, créateur ou localité. Le meilleur site consacré aux affiches de concert sur internet. On pouvait y consulter des fiches détaillées de toutes les sérigraphies crées pour Nine inch nails, Smashing Pumpkins,, Queen of the Stone Age, Radiohead, Wilco, the Decemberists, the Shins, the Beastie Boys, Arcade Fire, Cat Power, etc. Pour donner le vertige, on y trouvait plus de 300 affiches consacrées aux Black Keys !
Vous l’aurez compris, le site était un trésor pour tout amateur et collectionneur d’art graphique et de sérigraphies. Les designers et les artistes avaient enfin la possibilité de partager leur travail et d’échanger avec d’autres créateurs. L’affiche de concert conçue comme une forme d’art contemporain était redevenue un objet de désir tout comme le bon vieux vinyle.
Le Museum für Kunst und Gewerbe à Hambourg a inauguré en 2015 la première exposition européenne majeure consacrée aux gig posters : 140 sérigraphies de concert étaient présentées.
Didier Maiffredy auteur du livre Rock poster art – Sérigraphies de concerts (publié en 2012 chez Eyrolles) a eu la gentillesse de me donner son ressenti : “La notion de communauté aux USA est une notion fondamentale. Elle était extrêmement forte sur GigPosters. Pourtant depuis quelques années cette communauté était moribonde, elle s’est éloignée, et le trafic sur le site n’a cessé de baisser. Je ne suis donc pas surpris de la déshérence de GigPosters. Nous avions jusqu’à présent fonctionné sous une forme de verticalité, aujourd’hui il n’y a plus de prescripteurs, c’est une explosion généralisée de petits sites et de boutiques d’artistes. Désormais il faut aller partout dans tous les petits coins, dans chaque niche. GigPosters était un survivant de cette verticalité. Aujourd’hui il n’est plus possible d’avoir une vision globale, elle est fragmentée à travers les outils numériques. Pourtant sans GigPosters, l’écriture de mon livre aurait été impossible. Ma compréhension – et comment chaque artiste pense son travail – a été fondamentale grâce au site.”
Fountains of Wayne, Smashing Pumpkins, sérigraphie de 1997 par Mark Arminski.
Ce qui rend les GigPosters uniques et attrayants c’est bien leur liberté artistique. Plus que des affiches, ce sont des visions personnelles d’artistes, des images qui synthétisent l’univers d’un groupe rock, punk, heavy metal ou grunge en dehors du merchandising officiel. Une parfaite illustration de la contre-culture en réponse à la communication commerciale de l’industrie musicale. Ce qui provoque aussi une émotion tactile et une telle obsession pour cet art graphique, c’est que la plupart des affiches sont imprimées manuellement en sérigraphie. Nécessitant de nombreuses heures de travail et secrètement élaborées avec de petits moyens au fond d’un garage, elles sont pourtant d’une qualité exceptionnelle. Pas le genre d’œuvre qu’on punaise sur le mur d’une chambre ! Chaque date de concert est l’occasion de voir les artistes locaux se donner corps et âme à la réalisation minutieuse et frénétique de ce fan-art clandestin. A partir des années 80, les artistes, en quête de visibilité, n’hésitaient à pas à coller leurs précieux gig posters sur les murs ou sur le mobilier urbain. Le format vertical des sérigraphies de concert de l’artiste américain Mark Arminski était même conçu pour être collé sur les cabines téléphoniques.
Neil Young Greek Theatre Los Angeles, sérigraphie de 2003 par Emek
Ce goût du travail artisanal leur donne définitivement la valeur d’objet de collection (en édition limitée et signée) que l’on connait aujourd’hui. Même si la plupart sont vendues à des prix très abordables, certaines sérigraphies récentes de concert peuvent atteindre des sommets comme celles de Emek Golan. Une de ses sérigraphies de concert pour Neil Young est aujourd’hui cotée à 850 $.
Une (très) rare photo de Clay Hayes (2e à droite) pendant la 20e édition du Festival Flatstock en 2009 (Austin) en compagnie des artistes Mike Klay, Travis Bone et Jay Ryan. Photo : Andy MacDougall
Derrière le site GigPosters se cache la volonté d’un seul homme : le canadien Clay Hayes. Depuis sa maison à Calgary, il a tout mis en ligne pour satisfaire sa passion des rocks posters. Malgré son travail d’informaticien bien rangé, il a toujours été un adepte du DIY / punk en tant que musicien pour le groupe Jigsaw pendant 10 ans. Clay l’avoue : “je n’ai jamais adoré mon boulot, j’avais juste toujours rêvé de faire quelque chose de personnel… J’ai créé ce site comme un hobby parce que je ne supportais plus ma vie professionnelle, j’avais besoin d’un échappatoire. Alors dans mon temps libre, j’ai d’abord mis en ligne ma propre collection, en ajoutant tous les flyers de mes groupes préférés…”. Clays Ayes possède aujourd’hui dans sa collection personnelle plusieurs milliers d’affiches.
Dès le lancement du site en 2001, sa réputation s’est étendue rapidement par le bouche à oreille et les moteurs de recherche, sans aucune promotion. En 2008, il rassemblait déjà 250 000 visiteurs pas jour ! Mais en créant ce site communautaire, Clay n’a jamais cherché à gagner le moindre dollar en faisant de GigPosters une plateforme de vente. Au contraire il a valorisé et amélioré sans cesse son aspect communautaire (un abonnement Premium était tout de même disponible pour 20$). C’était un site libre ou chacun pouvait soumettre toutes ses affiches de concert.
The Flaming Lips, sérigraphie de 2000 par Jay Ryan.
GigPosters a donné à chacun la possibilité d’émerger, cette visibilité était même source d’opportunités lucratives. L’artiste Jay Ryan a ainsi été repéré grâce à une sérigraphie de concert des Flaming Lips. Cette reconnaissance lui a permis de concevoir la jaquette du livre The Final Solution (prix Pulitzer du romancier Michael Chabon). L’art du rock poster peut aussi provoquer des rencontres inespérées. En 2003, l’artiste basé à Austin, Rob Jones a créé une sérigraphie de concert des White Stripes en France (Lyon) mais sans la permission du groupe. Les White Stripes furent tellement enthousiasmés par cette affiche qu’ils lui ont commandé d’autres ! Le travail de Jones est maintenant indissociable de celui des White Stripes. En rassemblant des centaines de “poster-makers” autour de la même passion pour la sérigraphie et la musique, Clay ne se doutait pas qu’il allait alors relancer la mode des affiches de concerts et créer un véritable engouement pour cet art alternatif.
Hammerbox at the O.K. Hotel (Seattle), sérigraphie de 1992 par Frank Kozik.
En avril 2002, quand le grand artiste et sérigraphe Frank Kozic rejoint le site et commence à parler de la création d’un show (qui deviendra plus tard le festival Flatstock), Clay ne savait même pas de qui il s’agissait ! “Je suis un informaticien, je n’ai jamais eu réellement un œil pour l’art, j’ai appris au fur et à mesure. Je suis d’abord un technicien permettant à tout le monde de faire son truc, un Mr. Behind-the-scenes“. Cette humilité lui a permis d’être à contre-courant en étant le premier à valoriser l’affiche de concert, tout en plaçant chaque artiste à égalité sans concéder de privilèges ou monnayer une meilleure visibilité. Il a rapidement attiré les plus grands acteurs de la scène émergente, tous ceux qui ont mis en œuvre le premier Flatstock à San Francisco et la création de l’American Poster Institute.
Flatstock, sérigraphie par Aesthetics Apparatus.
Flatstock © Photo cricketpress / Flatstock 2015 (Austin) © Photo par Lisa Hause
La fin de gigosters.com ? Oui mais le rock poster est plus vivant que jamais. Le site web était un moyen pratique d’offrir un espace partagé où la musique et l’art forment un tout. Mais pour donner vie à cet engouement hors d’internet, il fallait imaginer un lieu où les artistes et les fans pourraient se rencontrer. Le premier festival Flatstock est le résultat de l’effort des membres du forum GigPosters qui ont contribué à organiser l’évènement. American Poster Institute (API) est né consécutivement pour lui donner une dimension plus professionnelle. Frank Kozik pressentait que Flatstock pourrait être beaucoup plus qu’un événement ponctuel. Avec Nels Jacobson, Jeff Keinsmith Rene Debos, Jay Ryan et Clay Hayes, il ont créé l’API pour faire de Flatstock le festival d’envergure qu’il est devenu aujourd’hui : le plus grand rassemblement mondial du genre, le paradis des collectionneurs. Le premier rock paper show était né, présent dans plusieurs villes aux Etats-Unis (Seattle, Chicago, Austin, San Fransisco) et en Europe (Barcelone, Hambourg). La 55e édition du festival s’est déroulée à Chicago le 21 mai 2016.
GigPosters Vol 2 : Rock Show Art of the 21st century par Clay Hayes, photo Alan Hynes
Clay a consacré 1 ans et demi à l’écriture de son premier livre publié en 2009 chez Quirk Books : GigPosters Vol 1 : Rock Show Art of the 21st century. Un 2e volume est paru en 2011 et il y en aura sûrement d’autres. Chaque livre présente 700 affiches de sa collection dont 101 reproductions à détacher ! Parmi les nombreux designers qui contribuent à cette collection, on y trouve Aesthétics Apparatus, Rob Jones, The Ring Decoder, Jay Ryan, Emek, Daniel Danger, Strawberryluna, Hero design, etc.
Même si GigPosters n’est plus, les livres restent et l’effervescence de Flatstock ne cesse d’attiser la passion pour l’art des sérigraphies de concert. Si vous avez un jour la chance d’y aller, courrez y rencontrer tous ces artistes non conventionnels et découvrir le meilleur de la création mondiale en sérigraphie : du pur rock ‘n’ roll pour les yeux ! “GigPosters a rassemblé les gens en vous montrant tout ce qui est créé dans le monde, quelque soit le style, le support ou la musique.” (Clay Hayes)
Article et traductions par Stéphane Constant © 2016 Dezzig.
Merci à Andy MacDougall et Didier Maiffredy pour leur aide précieuse.
Quelques livres pour aller plus loin :
– The Art of Rock de Paul Grushkin
– Art of Modern Rock: The Poster Explosion de Paul Grushkin et Dennis King
– Rock poster art – Sérigraphies de concerts de Didier Maiffredy
– Rock Paper show flat stock vol 1 de Geoff Peveto
– GigPosters vol 1 & 2 de Clay Hayes
Zig
Avec Dezzig, j’étais présent sur gigposters.com et notamment les affiches de The Apartments, Philippe Katerine ou Nouvelle Vague. GigPosters constituait également une ressource essentielle pour la recherche dans ma série d’article Posterize,
Zig
GigPosters était une sorte de survivant, car la communauté avait déjà bougé, elle était partie ailleurs notamment sur les réseaux sociaux ou recentré sur le développement de leur propre boutique en ligne.
Zig
La communauté Gigposter est aujourd’hui sur Facebook. Une évolution assez logique tant les réseaux sociaux ont pris la main sur les sites web communautaires, les forums.
Zig
A noter que le site actuel http://www.gigposter.com n’a plus rien à voir avec l’original. On est bien loin de l’esprit orignal où les artistes ne proposaient que de la sérigraphie !